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Chronics Urbi & Orbi

Ose savoir : le monde dans tous ses états

Médias et démocratie...

L’élection « surprise » de Donald Trump aux Etats-Unis conduit à réfléchir aux rôles des médias en démocratie, la notion de médias englobant à la fois la presse et les instituts de sondage. Rarement ceux-ci se seront trompés avec une telle suffisance, rejetant toute opinion non conforme à leur doxa et cherchant à imposer une pensée unique quand bien même celle-ci était en contradiction avec la réalité et l’aspiration des électeurs. D’ailleurs, pour ne pas avoir à gérer cette contradiction, ils se sont abstenus de trop questionner le réel ou en ont minoré la portée, préférant développer un roman médiatique quasi-uniforme : Donald Trump était un danger pour la démocratie, Hillary Clinton une incarnation de celle-ci ! Et les électeurs de Donald Trump étaient fascistes, racistes ou « déplorables » quand ceux d’Hillary Clinton étaient de bons citoyens…Dana Milbank, éditorialiste au Washington Post, résumait ainsi la position des médias américains : «  Dans une campagne présidentielle ordinaire, la neutralité de la presse est essentielle. Mais avec Trump, tenter d’être neutre rend légitime ce qui est illégitime ». Conséquence : 243 journaux américains ont soutenu Hillary Clinton et seulement 20 quotidiens Donald Trump, c’est-à-dire que 243 journaux américains n’ont pas fait leur travail ou, pis encore, ont cherché à imposer leur vision de la société sans se remettre en cause.

 

Les nouveaux directeurs de conscience…

Cette dérive des médias vers une position idéologique revendiquée n’est pas propre à la grande Amérique. Elle semble désormais installée dans le paysage de toutes les démocraties pluralistes. Que l’on se souvienne de la position de la presse française en 2012 lors des élections présidentielles : à visage découvert ou plus imperceptiblement, le slogan était « tout sauf Sarkozy », trouvant à François Hollande toutes les qualités aujourd’hui moquées par les mêmes. Et que dire de l’actuelle couverture médiatique des primaires de droite ! Il ne s’agit pas, là encore, d’éclairer le citoyen mais de soutenir le prétendant choisi par les médias, à savoir Alain Juppé brusquement adoubé par les bobos parce que compatible avec l’idée que la presse se fait d’un candidat de droite « convenable » alors qu’en d’autres temps il y fut vilipendé. Il en est de même en Italie où après le combat de la presse contre Berlusconi, les médias ont adulé Renzi, voyant en lui un héros jeune et moderne, avant d’avoir maintenant tendance à s’en détacher faute de « miracolo subito ». Et que penser de la responsabilité de la presse espagnole dans la crise politique qui a laissé le pays sans gouvernement pendant plusieurs mois : globalement opposés à Mariano Rajoy pas assez glamour et au Partido Popular trop conservateur, les médias ont fait campagne contre le gouvernement de centre-droit tout en mettant en valeur Podemos dont la percée aux élections législatives de 2015 a conduit à une fragmentation durable des Cortes. Exception notable dans cette hystérie médiatique, la question du Brexit en Grande-Bretagne fut discutée et commentée de manière plus équilibrée, la presse d’opinion se rangeant généralement dans le camp du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne tandis que les journaux populaires étaient ouvertement pro-Brexit. Quoi qu’il en soit, tout se passe comme si, au fur et à mesure de leur perte d’influence au profit des réseaux sociaux et d’internet, les médias traditionnels avait choisi, en réaction à leur déclin, de se positionner en inquisiteurs, en donneurs de leçons et en directeurs de conscience au nom d’une déontologie dénaturée et d’une idéologie autoproclamée, celles du politiquement correct définies par ces mêmes médias, ce qui constitue une remise en cause de la démocratie. Ce qui conduit, en raison du même principe, à de brusques voltes-faces de la presse, dénonçant aujourd’hui ce que la veille encore elle encensait, par narcissisme des journalistes et volonté de toute puissance, ce qui traduit une profonde crise des médias (bien plus que de la société), crise économique sans doute, crise du modèle d’information assurément, plus sûrement encore crise morale quant à leur rôle en démocratie.

 

Le rôle des médias en démocratie.

En démocratie, la presse est souvent présentée sur le plan institutionnel comme le quatrième pouvoir à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Cette qualification a quelque chose d’abusif et d’incongru. Les médias n’ont pas (ou non plus) en effet l’influence qu’on leur prête généralement (mais ils peuvent néanmoins favoriser ou briser une carrière), cette influence n’existe qu’autant qu’elle trouve des relais dans l’opinion, elle ne s’impose pas d’elle-même, l’information doit être acceptée et discutée par ceux à qui elle est destinée, elle ne devient crédible qu’autant qu’elle est reprise et amplifiée par l’opinion. Il s’agit donc d’un pouvoir fragile, qui doit en permanence donner des gages de vertu, l’opinion se méfiant de la manipulation de l’information et se défiant de la probité des journalistes et de leur proximité avec les élites.

Par ailleurs, en démocratie, tout pouvoir a une contrepartie et peut être remis en question, ce qui n’est pas le cas de la presse dont les limites sont uniquement judiciaires, c’est-à-dire qu’en définitive tout peut être dit ou écrit à condition de rester dans le cadre de la loi. Certes, il existe bien une limite économique, celle du marché de l’information (et de la publicité), mais celle-ci est biaisée par l’aide publique apportée aux médias (sous forme de subventions ou d’aides fiscales), en sorte que la loi de l’offre et de la demande ne s’applique qu’imparfaitement. Elle conduit même à un paradoxe : pour attirer la manne publicitaire, les médias ne doivent pas prendre les annonceurs à rebrousse-poil et encore moins l’opinion, en sorte  qu’une telle position favorise le politiquement correct au détriment d’une information objective.

Idéalement, en démocratie, les médias devraient être, de manière dialectique, des intermédiaires, des passeurs d’informations, entre les pouvoirs constitués et l’opinion, entre le peuple et les élites. Dans cette perspective, le débat sur l’objectivité de l’information est un faux débat. Peu importe que les journaux soient militants et présentent l’information sous un certain éclairage. En démocratie pluraliste, ce qui importe c’est la pluralité des sources d’information. Et c’est bien là la difficulté actuelle avec le politiquement correct (qui peut aussi se décliner en économiquement correct, socialement correct ou culturellement correct). Il existe une forme d’entente implicite entre les médias traditionnels (presse écrite, radios ou télévisions) pour traiter l’information dans un sens qui conforte le consensus ambiant et le roman médiatique. Pour trouver une information dissonante, il convient aujourd’hui d’aller sur internet et les réseaux sociaux avec tous les excès possibles (faux scoop, théorie du complot, affirmations non contrôlées, rumeurs, etc). Le phénomène n’est plus anecdotique. La victoire de Donald Trump est pour une large part dû aux réseaux sociaux sur lesquels les « red necks », les « petits blancs », les « crétins des Appalaches » et les « paumés de la Rust belt » (la « ceinture de la rouille », les régions désindustrialisées des Etats-Unis) se sont rués pour trouver une autre information que celle des médias établis (celle qu’ils créaient eux-mêmes), se rassurer et se déculpabiliser, et ainsi constituer une forte minorité agissante (à l’image des autres minorités organisées). Tout cela à l’insu de la presse traditionnelle qui ne s’est pas rendue compte de l’importance du mouvement, à tel point que le matin du vote (le 8 novembre), le New-York Times (et d’autres médias) donnait Hillary Clinton vainqueur à 84% !

 

La dérive des médias.

La presse traditionnelle et les instituts de sondage, pas plus que les nouveaux médias, ne sont désormais une source d’information fiable. La presse a pris son essor avec la révolution industrielle et le progrès technique, son développement a accompagné l’ère des masses et des classes et l’a structuré à travers la presse partisane qui était une garantie de la pluralité de l’information et de la vitalité de la vie politique. Après la Seconde guerre mondiale, les médias audiovisuels sont devenus, à côté de la presse d’opinion, l’instrument privilégié de la propagande étatique contre le communisme dans les démocraties pluralistes, d’abord pour soutenir la politique de reconstruction puis assoir la société de consommation. Avec la fin de la Guerre froide et l’arrivée concomitante d’internet, le marché de l’information s’est transformé. Tant qu’il existait une menace (le bloc communiste) et une structure de la société en classe, la presse reflétait la pluralité des opinions. Avec l’émergence d’une société plus consensuelle, les différences entre médias se sont gommées pour aboutir à un discours unique, celui du monde médiatique. Désormais, les médias établis participent à un rite, entre le spectacle de masse et le roman de gare. Ils expriment une pensée dont l’objectif est d’apaiser la société à travers un consensus quant au traitement de l’information : il ne s’agit plus d’informer mais de former des esprits conformes aux besoins des différents marchés (politique, économique, social ou culturel). Que ces médias soient en crise n’est que la traduction de l’échec de cette mission face à la difficulté à fidéliser le lecteur, l’auditeur ou le spectateur, très suspicieux à leur endroit et très volatile dans ses choix. A défaut de croire au discours uniforme de la presse, ces derniers le considèrent comme un divertissement (au sens pascalien), une information chassant l’autre et créant essentiellement du bruit. Les médias ne font plus sens ni conscience, ils se situent dans le ludique (l’aboutissement ultime de cette dérive étant « Les guignols de l’info »), sans pour autant être capables de fédérer les masses. Car l’ère des masses et des classes est bien finie. L’information de masse et partisane avec. Et donc la pluralité de l’information au profit d’une propagande qui ne parvient plus à s’imposer.

Car à ce modèle en crise se sont substitués internet et les réseaux sociaux. Grâce à eux, chacun est désormais capable d’aller chercher l’information qui lui convient et de produire sa propre information. C’est le triomphe de l’individualisme qui cherche à combler « l’ère du vide » médiatique : chacun considère que sa réflexion est pertinente et ne souhaite entendre que la « vérité » qui le conforte dans ses convictions, sans plus d’esprit critique, dans le cadre d’une pensée de type sectaire, favorisant l’émergence de sociétés multiculturelles émiettées au détriment de la vie collective. A l’échec du prêche des médias de masse a fait place une multitude d’émetteurs et de forums qui tous, peu ou prou, sans véritable recul mais avec certitude, cherchent à dénoncer d’hypothétiques complots de l’Etat, des entreprises, des médias et de tous les corps intermédiaires (le collectif est devenu mensonge, « on nous cache la vérité », « on ne nous dit pas tout ») et à magnifier l’individu : lui seul sait, toute information « vraie » doit partir de lui et revenir à lui. Dans ces conditions, plus que jamais, « le message c’est le médium » (Mac Luhan) et le « village planétaire » ressemble de plus en plus à un véritable village avec ses événements et ses réactions en temps réel mais surtout ses humeurs, ses rumeurs et ses affabulations. Plus rien ne fait sens, tout est relatif, sauf l’information qui conforte l’individu dans sa croyance. A côté de la pensée unique et totalisante des médias traditionnels, l’information qui circule sur les réseaux sociaux est un autre danger, à la fois pour le vivre ensemble et l’expression démocratique. L’autre, celui qui pense différemment, est inquiétant et menaçant, il n’est plus un semblable. Voici venu le temps de la suspicion généralisée et des imprécateurs…

 

Illustration : La salle de rédaction du Journal des Débats, Jean Béraud.

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